Au fil des araignées, une question de culture
Chez nous, en Europe, l'araignée a mauvaise réputation et elle est considérée comme malfaisante et destructrice. Nous la voyons comme une prédatrice, et sa toile comme un piège fatal. Aveuglés par notre répulsion, nous oublions que ce n'est qu'un point de vue, et qu'il en existe d'autres.
Dans d'autres cultures, l'araignée est plutôt vue comme une fileuse et une tisserande, donc de manière très positive. On s'émerveille à la fois devant le fait qu'elle fabrique son fil de soie et devant la réalisation de sa toile.
Dans la culture africaine, par exemple, l'araignée Anansé est vue comme la grande Fileuse primordiale à l'origine de la création cosmique et de celle de l'homme. Créatrice, elle fournit le premier matériau nécessaire à l'apparition de l'homme. On retrouve également ce mythe fondateur dans la culture aborigène, où l'art laisse une grande place à l'araignée et sa toile.
L'araignée est aussi une grande tisserande qui se révèle être protectrice et bienfaitrice. Ainsi, dans le Coran, il est raconté que le prophète Mahomet , lors de son émigration vers Médine, trouva refuge dans une grotte et échappa à ses poursuivants grâce à une araignée (Ankabût) qui tissa sa toile si rapidement qu'elle occulta le lieu où Mahomet se tenait caché.
L'aspect protecteur de la toile d'araignée est flagrant dans le capteur de rêves amérindien. Constitué autrefois d'une armature circulaire en bois de saule et de mailles entrelacées imitant la toile d'araignée en tendons de cerf, cet objet, placé au-dessus du dormeur, a pour fonction de filtrer ses rêves, en retenant les mauvais et laissant passer les bons. Soit les cauchemars sont emprisonnés dans la toile et brûlés par les premiers rayons du soleil, soit au contraire les rêves positifs sont retenus dans la toile et les mauvais rêves sont évacués en son centre vers un trou symbolisant le néant.
Le capteur de rêves trouve son origine dans une légende qui raconte comment Iktomi l'araignée tissait chaque soir au-dessus des êtres humains une toile qui protégeait les pensées et les rêves des dormeurs. Iktomi fut ensuite relayée par les femmes de la tribu.
L'araignée tisse parfois la trame de la destinée humaine avec sagesse, intelligence et clairvoyance.
La toile du capteur de rêves n'est pas simplement protectrice, elle sépare également les mauvaises des bonnes pensées ; elle aide donc aussi au discernement dans les actions des hommes.
Maîtresse du destin et favorable aux hommes, l'araignée clairvoyante va guider leurs actions en déchiffrant l'avenir. Ainsi au Cameroun, on place des signes divinatoires devant l'entonnoir de la mygale, que l'on interprète lorsque cette dernière les a déplacés. Chez les Incas, on emprisonne une araignée sous un bol, et l'on interprète la position repliée ou non de ses pattes en la libérant.
Certaines traditions vont encore plus loin puisque l'araignée peut prendre soin de l'âme des défunts. Chez les Muiscas (culture précolombienne), l'araignée transporte les âmes des morts dans une barque tissée de ses fils sur le fleuve menant à l'au-delà, et chez les Aztèques, elle les accueille elle-même dans son royaume puisqu'elle incarne le dieu des Enfers.
Dans de nombreuses cultures , l'araignée est percue comme un bienfait pour l'homme. Fileuse créatrice et tisserande bienfaisante, elle assiste l'homme depuis l'origine jusqu'à la fin, en l'orientant tout au long de sa vie.
Porter le masque de l'araignée au cours de cérémonies très rares est la plus haute aspiration envisagée dans certaines traditions. On comprend maintenant pourquoi. Pour le revêtir, le porteur doit avoir acquis la sagesse qui lui permettra d' être digne de s'approprier toutes les vertus de l'araignée et de devenir pour ainsi dire son égal.
Pour terminer, je ne peux m'empêcher de me poser une question : l'arachnophobie existe-t-elle chez ces peuples ?
Source : http://www.natureculture.org/