La légende des rats du temple de Karni Mata
Il existe en Inde un temple du nom de Karni Mata, où des centaines de rats vivent en liberté auprès des hommes. Une vieille légende raconte qu'une jeune fille est à l'origine de tout cela. C'est son histoire que nous allons vous faire partager ici.
Il était une fois, au quatorzième siècle, un heureux couple, Mehaji et Deval Baiest. Tous deux vivaient dans le village de Suwap, près de l'actuelleville de Jodhpur. Mehaji, le mari, était un fidèle dévot de la déesse Durga, qui symbolise la puissance et la victoire dans l'éternel combat du bien contre le mal. Leurs enfants étaient déjà au nombre de cinq, rien que des filles, lorsque Deval Bai tomba une nouvelle fois enceinte. La nuit précédant son accouchement, la mère rêva d'une divinité descendant sur elle pour lui apprendre qu'elle allait donner naissance à une réincarnation de la déesse Durga.
Le lendemain, Deval Bai donna naissance à une sixième fille, à qui le nom de Ridhu Bai fut donné. La tante de l'enfant, la soeur de Mehaji, entra dans une grande colère quand elle découvrit que son frère n'avait toujours pas de fils. Dans sa rage, elle leva le poing pour frapper le bébé, mais ses doigts restèrent mystérieusement soudés ensemble, déformant sa main sans que personne ne puisse y remédier.
Quelques années plus tard, alors que la situation financière de la famille s'était beaucoup améliorée, la tante vint en visite. Elle commença à coiffer Ridhu Bai, qui lui demanda pourquoi elle n'utilisait qu'une seule main. La vieille femme lui expliqua ce qui s'était produit le jour de sa naissance. La fillette prit la main de sa tante dans la sienne et lui dit qu'elle ne voyait rien de particulier . Effectivement, la main avait soudain retrouvé son aspect normal. Secouée par ce miracle et se souvenant du rêve prophétique de Deval Bai qu'elle n'avait pas voulu croire à l'époque, la tante commença à appeler sa nièce Karni Mata, ce qui signifie Celle Qui Fera des Miracles.
Karni Mata sauva la vie de son père alors qu'elle n'avait que six ans, juste en posant ses mains sur le bras qui venait d'être mordu par un serpent. C'est à partir de ce moment que la réputation de Karni Mata commença à se répandre bien plus loin que son village. Le seigneur Rao Sekha en entendit parler et vint la voir avec tous ses soldats pour demander sa bénédiction avant une grande bataille. Karni Mata voulut inviter tout le monde dans la maison de ses parents. Rao Sekha, voyant qu'il n'y avait pas beaucoup de nourriture à disposition, somma tous ses hommes de ne surtout pas se plaindre des rations que la jeune fille leur donnerait. Mais Karni Mata servit du pain et de la sauce à satiété, les sortant des pots qui semblaient ne jamais se vider. Rao Sekha remporta la victoire qu'il avait désirée en ne perdant qu'un unique soldat, le seul qui avait refusé le pain et la sauce de Karni Mata.
Les années passant, les parents de Karni Mata voulurent lui trouver un mari. L'adolescente suggéra elle-même le nom de Depaji, le fils d'un célèbre philosophe habitant le village de Sathika. Le mariage se déroula très vite et très simplement. Tandis que la procession revenait de Sathika vers Suwap, une grande soif s'empara de tous les invités et de leurs animaux. Karni Mata indiqua une dune de sable, derrière laquelle on découvrit un réservoir rempli d'eau. Après avoir étanché sa soif, Depaji retourna vers le palanquin qui transportait sa jeune épousée. Lorsqu'il souleva le rideau, il eut l'impression durant quelques secondes de voir une déesse assise à côté d'un lion, mais la vision ne dura pas. On dit aussi que près de là, au village de Kaluja, Karni Mata conseilla un jour aux habitants de s'abstenir de couper les arbres près de leur puits. A partir de cet instant, ledit puits ne manqua jamais d'eau et il existe encore aujourd'hui sous le nom de Karnisagar.
Karni Mata ne vécut que deux ans à Sathika. Lassée de la suspicion des habitants, elle quitta un jour le village avec toute sa famille et décida qu'elle s'arrêterait là où le coucher de soleil la trouverait. En chemin, elle passa par le village de Jangloo. Rao Kanha, le seigneur du lieu, lui refusa l'accès au puits car il était bien trop bas pour abreuver des étrangers. Passant outre, Karni Mata demanda à ses suivants de se servir, et à la surprise générale le puits donna autant d'eau qu'il en fallait. Au coucher du soleil, elle arriva à la jungle de Deshnok. Mais là encore Rao Kanha n'en fut pas satisfait et envoya deux de ses officiers pour faire évacuer les lieux. Devant le refus de Karni Mata, les deux hommes prononcèrent des paroles insultantes, ce qui leur valut de réapparaître devant leur maître avec des becs de corbeau en lieu et place de leur bouche. Cette fois-ci, Rao Kanha se rendit sur les lieux avec son armée.
Karni Mata accepta de partir à condition qu'on l'aide à mettre sur son chariot une petite boîte de bois contenant une idole de la déesse Awad Mata. Mais aucun homme ni aucun animal ne put faire bouger l'objet du moindre centimètre. Après cela, Karni Mata fit la remarque que tout ceci était hors de propos puisque Rao Kanha était arrivé à la fin de sa vie. Blessé par ces paroles, le seigneur lui demanda de prédire ce qui allait lui arriver. Karni Mata traça une ligne sur le sol, devant ses pieds, et lui déclara qu'il mourrait dès qu'il l'aurait franchie. Relevant le défi, Rao Kanha fit un pas en avant et s'écroula raide mort. Karni Mata installa donc sa résidence dans la jungle près du village de Deshnok, dans un endroit connu sous le nom de Nehjiri. Aujourd'hui encore, on voit dans le temple Temre Rai de Deshnok cette boîte de bois contenant l'idole de Awad Mata.
Les années passèrent, nombreuses, et lorsque Karni Mata eut près de 80 ans, son mari décéda. Elle s'installa alors à Deshnok où elle construisit pierre par pierre, sans aucun liant, une sorte de grotte dans laquelle elle passait le plus clair de son temps pour méditer. Un jour, on lui amena le corps de Laxmanraj, un conteur qui était aussi son gendre et qui venait de se noyer dans un lac voisin. Karni Mata s'enferma avec le corps pendant trois jours, au cours desquels elle affronta Yamraj, l'Esprit de la Mort. Lorsque la porte de la grotte se rouvrit, Laxmanraj en sortit vivant. De même que plusieurs rats, des animaux dont le nombre augmenta de jour en jour. En effet, Karni Mata avait obtenu de Yamraj le droit de s'occuper des âmes des conteurs, et ceux-ci, au lieu de disparaître dans le royaume des ombres, revenaient sous la forme de "kabas", de rats, qui eux-mêmes ensuite renaissaient comme conteurs.
La fin de la vie de Karni Mata fut encore pleine de miracles. Elle aida Rao Jodha, fondateur de la ville de Jodhpur, ainsi que Rao Bika, le fondateur de Bikaner, et ce fut elle qui posa la première pierre du grand fort de Bikaner. Elle disparut à l'âge de 151 ans, "disparut" au sens propre du terme puisque l'on raconte que son corps se désintégra en un flot de lumière divine le jour où elle le décida.
Aujourd'hui encore, à Deshnok, le temple de Karni Mata est la résidence des kabas, ces rats qui n'en sont pas. Comment expliquer, en effet, que les animaux ne quittent pas le temple dont les portes sont grandes ouvertes ? Comment expliquer que ces animaux d'ordinaire peureux ne soient pas dérangés par la présence des innombrables pèlerins ? Comment expliquer que l'on ne voie jamais de bébés rats et que la population n'augmente pas, comme s'il n'y avait aucune reproduction, comme si les nouveaux individus surgissaient de nulle part ? Allez donc là-bas, et voyez par vous-mêmes. Et n'oubliez pas que si un kaba vous marche sur les pieds, c'est signe de bonne fortune...
Source : http://www.1000jours1001nuits.net/voyag ... i_mata.txt