Le mystère du Perroquet de Flaubert

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Le mystère du Perroquet de Flaubert

Messagepar angelk » 04 Juin 2010, 22:33

Le mystère du Perroquet de Flaubert

Gustave Flaubert a écrit en1877 un ouvrage intitulé Trois contes, dans lequel on trouve "Un cœur simple", où un perroquet tient une grande place. Pour s'inspirer, il a emprunté un perroquet empaillé au musée de Rouen pour être mis sur sa table de travail : c’est Loulou, le perroquet de Félicité, personnage principal du conte «cœur simple ». Cette pauvre servante, au destin malheureux, fait empailler l’oiseau et finit par lui vouer un culte passionné, le considérant comme la représentation du Saint-Esprit. A sa mort elle croit voir, dans les cieux entrouverts, un perroquet gigantesque planant au-dessus de sa tête...


perroquet-Flaubert.jpg



Julian Barnes, médecin anglais spécialiste de Flaubert, analyse avec humour dans son ouvrage « Le perroquet de Flaubert » (Ed. Stock 2000), cette histoire surprenante, exemple parfait et maîtrisé, selon lui, du grotesque flaubertien.

Loulou est conservé au musée de l’Hôtel-Dieu à Rouen, hôpital où le père de Flaubert a été chirurgien et où l’écrivain a passé son enfance.

«ce que j’ai devant moi, sur ma table, depuis huit jours ? Un perroquet empaillé. Il y reste à poste fixe. Sa vue commence même à m’embêter. Mais je le garde, pour m’emplir la cervelle de l’idée de perroquet. Car j’écris présentement les amours d’une vieille fille et d’un perroquet » (Lettre à Mme Brainne, 28 juillet 1876).

Mais Julian Barnes est perplexe lorsqu’il découvre à Croisset, dans la maison familiale de Flaubert, un autre perroquet empaillé, avec une étiquette indiquant l’emprunt fait au Muséum d’histoire naturelle de Rouen pour écrire Un cœur simple.

Il mène une enquête auprès des deux gardiens afin de savoir quel est le perroquet authentique qui a inspiré Flaubert et lui a tenu compagnie durant plusieurs semaines. La description de l’oiseau est la suivante : « Il s’appelait Loulou; son corps était vert, le bout de ses ailes rose, son front bleu, et sa gorge dorée ».

Cette description correspond au perroquet de l’Hôtel-Dieu; la comparaison des deux photos laisse apparaître que le perroquet de Croisset avait lui, au contraire, un front doré et une gorge bleu-vert Les deux gardiens affirmaient avec conviction détenir le vrai perroquet, preuves écrites à l’appui qu’il avait été emprunté et rendu au Muséum.

Interrogeant alors un spécialiste de la Société des Amis de Flaubert, Julian Barnes apprit que deux perroquets avaient été effectivement donnés par la section des oiseaux du Museum de Rouen qui disposait d’une cinquantaine de perroquets d’Amazonie.

Devant cette multitude, le choix a été fait, par chaque conservateur, en fonction de la description de Loulou par Flaubert. Pour l’enquêteur, le perroquet authentique est donc celui de Croisset dont la description correspond exactement à celle de Flaubert mais le spécialiste fait remarquer que Flaubert était avant tout un artiste et un écrivain d’imagination et qu’il a pu, pour la beauté et le rythme de l’écriture, inverser les couleurs du perroquet qu’il décrivait; en outre il faut tenir compte du temps passé (30 ans) entre la restitution de l’oiseau au Museum (en 1876) et l’installation du pavillon de l’hôtel-Dieu.

Les animaux empaillés se désagrègent avec le temps, les couleurs peuvent s’altérer. En outre le museum s’est débarrassé de la plupart des perroquets. Il en résulte que le vrai perroquet de Flaubert peut être n’importe lequel d’entre eux, ou ce qui est possible, aucun d’eux.

Julian Barnes est allé le vérifier sur place : « Je me suis avancé prudemment entre les étagères et j’ai levé les yeux. Là, sur une ligne, il y avait les perroquets d’Amazonie. Des cinquante de l’origine, il n’en restait que trois. L’insecticide qui les recouvrait ternissait le brillant de leurs couleurs. Ils me fixaient comme trois vieillards moqueurs, couverts de pellicules et indignes. Je dois l’avouer, ils avaient l’air un peu maniaques. Je les ai regardés pendant une minute, puis je me suis esquivé. C’était peut-être l’un d’eux ...



Flaubert aimait bien les perroquets. Le perroquet est une des rares créatures qui produisent des sons humains; et Félicité n’hésite pas à le confondre avec le Saint Esprit, celui qui apporte le don des langues, le verbe à l’état pur, le symbole du logos :

«J’ai imaginé Loulou posé sur le côté du bureau de Flaubert et le regardant comme le reflet moqueur d’un miroir de fête foraine. Pas étonnant que les trois semaines de sa présence parodique aient causé quelque irritation. L’écrivain est-il beaucoup plus qu’un perroquet un peu compliqué ? »

Le médecin anglais donne des indications intéressantes sur cet oiseau emblématique :

- étymologiquement, Perroquet est un diminutif de Pierrot, perico en espagnol;

- pour les grecs, la capacité de parler du perroquet est un élément du débat philosophique sur les différences entre l’homme et l’animal;

- Aristote et Pline disent que cet oiseau est extrêmement lubrique quand il est ivre;

- Buffon observe qu’il est prédisposé à l’épilepsie; Flaubert connaissait aussi cette faiblesse; ses notes pour Un cœur simple indiquent comme autres maladies des perroquets : la goutte, les aphtes et les ulcères de la gorge.

Flaubert ne s’est pas contenté de Loulou empaillé; deux autres perroquets vivants, l’un à Trouville, l’autre à Venise, plus une perruche à Antibes, l’ont inspiré pour écrire son conte.

De même, parmi les milliers de coupures de presse réunies pour son œuvre inachevée Bouvard et Pécuchet, on relève l’histoire d’Henri, un habitant de Gérouville, devenu misanthrope par déception amoureuse et qui possédait un superbe perroquet, désormais son seul amour; il vivait seul avec l’oiseau, à qui il avait appris le nom de sa bien-aimée, et qui le répétait cent fois par jour. « Chaque fois que le nom sacré était prononcé par cette voix étrange, Henri avait un tressaillement, c’était comme une voix d’outre-tombe, mystérieuse et surhumaine; petit à petit, l’imagination enflammée par la solitude, le perroquet prit dans son esprit l’importance d’une espèce d’oiseau sacré qu’il ne touchait qu’avec respect et devant lequel il restait pendant des heures entières en contemplation ».

A la mort du perroquet, l’homme eut des accès de folie et arriva à s’imaginer qu’il était lui-même un perroquet, imitant les allures et les cris de l’oiseau . Sa famille décida de le placer en asile, mais il se réfugia sur un arbre. Pour l’attraper, quelqu’un eut l’idée de mettre à côté de l’arbre une vaste cage à perroquet, ce qui incita le malheureux à descendre...

Cette histoire frappa Flaubert qui fit, en vue d’une œuvre future, l’annotation suivante « l’animal, mettre un chien au lieu d’un perroquet ». Mais, quand finalement il écrivit l’histoire de Loulou et de Félicité, ce fut le perroquet qui resta à sa place !



Texte de Daniel Gerardin

Source: http://images.google.fr/imgres?imgurl=h ... r%26um%3D1

Vous trouverez ici le texte intégral du livre écrit par Gustave Flaubert:

http://images.google.fr/imgres?imgurl=h ... r%26um%3D1

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